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Comment la mer rendait les hommes esclaves 2015
La reprise des activités approche doucement. Une vision pour ceux et celles qui vont, d’ici quelques semaines, sortir de "l’abstinence maritime" et une pensée, aussi, pour celles et ceux qui vont être confrontés, de nouveau, à "l’esclavage" de leur compagnon ou de leur compagne et qui, pourtant, marchent avec...
Mais laissons parler Joseph Conrad (1857-1924) dans "La Folie Almayer".
(...) Et alors que Nina approchait avec intérêt son visage du sien, il éprouva, en effleurant les épaisses nattes des longs cheveux de la jeune fille, un soudain désir de lui parler de la mer qu’il aimait tant ; et il évoqua pour elle la voix incessante qu’il avait écoutée, enfant, cherchant le sens secret qu’aucun homme vivant n’a encore pénétré ; son scintillement enchanteur ; sa fureur insensée et capricieuse ; il lui dit comment la surface toujours changeante de la mer était toujours cependant fascinante, alors que ses profondeurs étaient toujours identiques, froides et cruelles et pleines de la sagesse de vies détruites. Il lui expliqua comment la mer rendait les hommes esclaves de son charme pour la vie entière, et ensuite, indifférente à leurs dévotion, les engloutissait, furieuse de la peur que suscitait chez eux son mystère qu’elle se refusait à dévoiler, même à ceux qui l’aimaient le plus (...)
Joseph Conrad (12/12/1857, Ukraine - 3/08/1924, Royaume Uni) - La Folie Almayer (1895), Chapitre XI.
"La Folie Almayer", sa genèse :
Entre aout 1887 et janvier 1888, Joseph Conrad est second sur le Vidar, un petit vapeur de 43 mètres qui fait du commerce entre Sumatra, Bornéo et la Mer des Célèbes ; il transporte du gutta-percha (gomme de latex), du rotin, de la nacre, de la cire d’abeille, de la résine dammar (résine naturelle pour fabriquer des vernis) et des holothuries (concombres de mer). L’équipage est composé du Capitaine Craig (Ford dans le roman), 2 mécaniciens européens, 1 magasinier chinois, 12 Malaisiens et 82 manutentionnaires pour les opérations de chargement et déchargement. A noter que le Vidar est suspecté par les autorités hollandaises d’avoir fait du commerce d’esclaves (??? variable selon les sources).
Durant une escale à Berau (Bornéo) Joseph Conrad rencontre Karl Olmeijer, un hollandais plus ou moins négociant, colonial en dérive du monde occidental, isolé dans un méandre perdu de rivière, père de plusieurs enfants métisses et espérant s’échapper de la chaleur et de l’oppression des tropiques. Ils échangent durant plusieurs heures au sujet de la destinée, de la variété et de l’universalité du caractère des hommes. C’est cette rencontre, romancée, qui fera le sujet de la première publication (La Folie Almayer) de Joseph Conrad.
Joseph Conrad a 31 ans quand il quitte le Vidar en janvier 1888 et retourne à la navigation à voile en recevant son premier commandement sur l’Otago (cf. une photo et un tableau ci-dessous), un trois-mâts barque qu’il conduira vers Bangkok, puis l’Australie et enfin, durant plus d’un an, à travers toute l’étendue ou presque de l’Océan Indien.